Les
parlementaires ont parfois ce côté rassurant en nous montrant que oui, mêmes
les idéologies les plus tenaces peuvent être revisitées. A croire que nos élus sont capables de se montrer plus avant-gardistes
que la moyenne des citoyens. Une
tâche relativement facile en matière de prostitution, sujet pour lequel nos
concitoyens semblent toujours avoir une certaine difficulté à envisager le
« plus vieux métier du monde » comme une pratique parfaitement
sexiste (même si un faible pourcentage implique des hommes) et d’une violence
sans comparaison avec d’autres activités professionnelles. Il n’est pas
question de remettre en cause la pénibilité et le pouvoir d’aliénation de
certains métiers, mais vendre son
corps pour satisfaire les désirs sexuels de clients inconnus n’a quand même
rien à voir avec l’implication personnelle d’une caissière de supermarché.
Le
plus vieux métier du monde ? Le plus vieux ? Comment savoir ? Y
avait-il des prostitués avant des boulangers ? Les historiens méticuleux
pourront s’amuser avec cette question aussi longtemps qu’ils le souhaitent…
mais finalement, la réponse n’a aucune importance. Seul le mot métier importe
dans cette affirmation idéologique souhaitant présenter le "commerce de services
sexuels" comme un métier. Alors oui, la prostitution est une activité ancienne,
très ancienne puisque des Grecs aux Romains, en passant par la plupart des
civilisations de l’antiquité se retrouvent des traces de cette pratique. Un peu
partout dans l’antiquité des femmes ou des hommes, souvent jeunes, échangent
l’usage de leurs corps contre de l’argent. Un commerce, donc un métier ?
Ce que les historiens amateurs qui exploitent ces références pour qualifier de
métier la prostitution oublient bien souvent, c’est que ces corps utilisés pour
des pratiques sexuelles sont majoritairement ceux d’esclaves ou de sous-citoyens
dont les droits se limitent bien souvent à la stricte obéissance qu’ils doivent
à leur maître. A l’origine la prostitution est une affaire d’esclaves dont le
maître vend les services.
Encore
plus tôt dans la pré-antiquité, la putain apparaît comme une figure religieuse
dont l’usage est ritualisé dans le culte d’une des nombreuses déesse-amante qui
peuplent les panthéons antiques. Pratiques sacrées visant à améliorer la
fécondité ou favoriser les récoltes, ces serviteurs de la déesse sont bien sûr
des femmes (parfois stériles dans certaines cultures) ou de jeunes hommes
fréquemment castrés.
Nous
parlions de citoyens exerçant un métier ? Il n’est question que
d’esclavagisme par la force ou de soumission à des doctrines religieuses, les
deux allant parfois de pair.
Mais
s’il est possible de reconnaître qu’il s’agit bien d’un métier, regardons ce
qu’implique cette notion au XXIe siècle. Aujourd’hui, un métier demande un
diplôme, le plus souvent acquis après une formation adaptée. Il existe de très
nombreux BTS, DUT, CAP, Bac pro et autres propositions éducatives censés
organiser les compétences des travailleurs souhaitant accéder à un métier dans
un marché erratique incapable de remplir ses fonctions. Vue sous l’angle
technocratique actuel la prostitution n’est rien d’autre qu’un des nombreux
métiers des « service à la personne ». Chacun est libre de mesurer la
poésie d’un « CAP en services sexuels »… et de bien prendre
conscience qu’un zélé conseiller d’orientation emprunt de modernité n’hésitera
pas à proposer à votre petite dernière ou votre compagne au chômage une
réorientation vers ces métiers porteurs des services (sexuels) à la personne.
Faut-il en détailler le programme ? Une distrayante petite vidéo réalisée par le collectif Les jeunes pour l’abolition de la prostitution donne quelques pistes pour éclairer la question.
Il
reste cette minorité de femmes (quelques hommes aussi) qui affirment faire ce
« travail » de leur plein gré et souhaiteraient acquérir une
véritable reconnaissance professionnelle. La bataille des chiffres est un
exercice de peu d’intérêt car les responsables politiques aussi bien que les
spécialistes associatifs avouent la difficulté à présenter une statistique
identifiant celles et ceux exerçant la prostitution comme un métier librement consenti. Une fois retirées
les 80% à 90% d’étrangères (de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et
de Chine) qui font la plus part de temps partie de réseaux mafieux, et toutes ces
femmes qui ne voient pas comment faire autrement sans sombrer dans la
misère, il ne reste plus qu’une poignée (de 2% à 3% selon les quelques études
réalisées) de prostitués libres et consentantes, faisant le choix de ce métier sans pressions particulières. Le haut du panier, avec des
prestations de luxe, où la partie « escort » est au moins aussi
importante que la mécanique sexuelle et où les grands hôtels remplacent les
camionnettes et le champagne l’odeur de bière des clients.
Faut-il
vouloir professionnaliser, légaliser et donc accepter socialement une activité
comme la prostitution au seul prétexte qu’une très petite minorité l’exerce
effectivement de son plein gré et sans trop de pression sociale ? Le droit
de disposer de son corps selon son bon vouloir doit-il prévaloir sur le choix d’une
société qui essaye, si ce n’est mettre un terme, au moins de grandement
marginaliser une activité sexiste et avilissante pour celles et ceux qui la
pratique ? En laissant de côté le gigantesque marché de la traite des
femmes qui rabaisse ses victimes à de véritables esclaves sexuels, exploités,
maltraités par leurs clients et par les proxénètes qui les rabaissent le plus bas
possible pour mieux les asservir…
Je suis
pour la liberté de chacun. Mais selon le moment et le contexte social, il n’est
pas souhaitable que l’on puisse vendre n’importe quoi, n'importe comment sous le seul prétexte de
"d'être libre de le faire". Pour que la prostitution devienne un métier comme un
autre, pouvant être légalement exercé par des hommes et des femmes libres, sans
jugement social et marginalisation, il faudrait « seulement » effacer
plusieurs millénaires de culture qui présentent la putain comme une femme indigne, dominée
par les hommes, honteuse et reléguée à la marge de l’humanité. Est-il
possible de faire un métier d’une activité culturellement aussi entachée et
dont l’essentiel des pratiques consiste
à offrir son corps aux petits et grands tabous et perversions que la société
n’est pas encore prête à véritablement accepter ? Alors tant que la honte,
le mépris, la violence, la maltraitance, l’esclavagisme et le trafic seront la
norme, il vaudra sans doute mieux trouver des solutions qui aident les victimes,
poursuivent les trafiquants et poussent la société à mettre un terme à des
pratiques dégradantes, majoritairement pour les femmes.
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