mercredi 9 juillet 2014

Et si ce n’était pas un métier


Les parlementaires ont parfois ce côté rassurant en nous montrant que oui, mêmes les idéologies les plus tenaces peuvent être revisitées. A croire que nos élus sont capables de se montrer plus avant-gardistes que la moyenne des citoyens. Une tâche relativement facile en matière de prostitution, sujet pour lequel nos concitoyens semblent toujours avoir une certaine difficulté à envisager le « plus vieux métier du monde » comme une pratique parfaitement sexiste (même si un faible pourcentage implique des hommes) et d’une violence sans comparaison avec d’autres activités professionnelles. Il n’est pas question de remettre en cause la pénibilité et le pouvoir d’aliénation de certains métiers, mais vendre son corps pour satisfaire les désirs sexuels de clients inconnus n’a quand même rien à voir avec l’implication personnelle d’une caissière de supermarché. 

Le plus vieux métier du monde ? Le plus vieux ? Comment savoir ? Y avait-il des prostitués avant des boulangers ? Les historiens méticuleux pourront s’amuser avec cette question aussi longtemps qu’ils le souhaitent… mais finalement, la réponse n’a aucune importance. Seul le mot métier importe dans cette affirmation idéologique souhaitant présenter le "commerce de services sexuels" comme un métier. Alors oui, la prostitution est une activité ancienne, très ancienne puisque des Grecs aux Romains, en passant par la plupart des civilisations de l’antiquité se retrouvent des traces de cette pratique. Un peu partout dans l’antiquité des femmes ou des hommes, souvent jeunes, échangent l’usage de leurs corps contre de l’argent. Un commerce, donc un métier ? Ce que les historiens amateurs qui exploitent ces références pour qualifier de métier la prostitution oublient bien souvent, c’est que ces corps utilisés pour des pratiques sexuelles sont majoritairement ceux d’esclaves ou de sous-citoyens dont les droits se limitent bien souvent à la stricte obéissance qu’ils doivent à leur maître. A l’origine la prostitution est une affaire d’esclaves dont le maître vend les services.

Encore plus tôt dans la pré-antiquité, la putain apparaît comme une figure religieuse dont l’usage est ritualisé dans le culte d’une des nombreuses déesse-amante qui peuplent les panthéons antiques. Pratiques sacrées visant à améliorer la fécondité ou favoriser les récoltes, ces serviteurs de la déesse sont bien sûr des femmes (parfois stériles dans certaines cultures) ou de jeunes hommes fréquemment castrés.
Nous parlions de citoyens exerçant un métier ? Il n’est question que d’esclavagisme par la force ou de soumission à des doctrines religieuses, les deux allant parfois de pair.

Mais s’il est possible de reconnaître qu’il s’agit bien d’un métier, regardons ce qu’implique cette notion au XXIe siècle. Aujourd’hui, un métier demande un diplôme, le plus souvent acquis après une formation adaptée. Il existe de très nombreux BTS, DUT, CAP, Bac pro et autres propositions éducatives censés organiser les compétences des travailleurs souhaitant accéder à un métier dans un marché erratique incapable de remplir ses fonctions. Vue sous l’angle technocratique actuel la prostitution n’est rien d’autre qu’un des nombreux métiers des « service à la personne ». Chacun est libre de mesurer la poésie d’un « CAP en services sexuels »… et de bien prendre conscience qu’un zélé conseiller d’orientation emprunt de modernité n’hésitera pas à proposer à votre petite dernière ou votre compagne au chômage une réorientation vers ces métiers porteurs des services (sexuels) à la personne. Faut-il en détailler le programme ? Une distrayante petite vidéo réalisée par le collectif Les jeunes pour l’abolition de la prostitution donne quelques pistes pour éclairer la question.

Il reste cette minorité de femmes (quelques hommes aussi) qui affirment faire ce « travail » de leur plein gré et souhaiteraient acquérir une véritable reconnaissance professionnelle. La bataille des chiffres est un exercice de peu d’intérêt car les responsables politiques aussi bien que les spécialistes associatifs avouent la difficulté à présenter une statistique identifiant celles et ceux exerçant la prostitution comme un métier librement consenti. Une fois retirées les 80% à 90% d’étrangères (de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine) qui font la plus part de temps partie de réseaux mafieux, et toutes ces femmes qui ne voient pas comment faire autrement sans sombrer dans la misère, il ne reste plus qu’une poignée (de 2% à 3% selon les quelques études réalisées) de prostitués libres et consentantes, faisant le choix de ce métier sans pressions particulières. Le haut du panier, avec des prestations de luxe, où la partie « escort » est au moins aussi importante que la mécanique sexuelle et où les grands hôtels remplacent les camionnettes et le champagne l’odeur de bière des clients.

Faut-il vouloir professionnaliser, légaliser et donc accepter socialement une activité comme la prostitution au seul prétexte qu’une très petite minorité l’exerce effectivement de son plein gré et sans trop de pression sociale ? Le droit de disposer de son corps selon son bon vouloir doit-il prévaloir sur le choix d’une société qui essaye, si ce n’est mettre un terme, au moins de grandement marginaliser une activité sexiste et avilissante pour celles et ceux qui la pratique ? En laissant de côté le gigantesque marché de la traite des femmes qui rabaisse ses victimes à de véritables esclaves sexuels, exploités, maltraités par leurs clients et par les proxénètes qui les rabaissent le plus bas possible pour mieux les asservir…

Je suis pour la liberté de chacun. Mais selon le moment et le contexte social, il n’est pas souhaitable que l’on puisse vendre n’importe quoi, n'importe comment sous le seul prétexte de "d'être libre de le faire". Pour que la prostitution devienne un métier comme un autre, pouvant être légalement exercé par des hommes et des femmes libres, sans jugement social et marginalisation, il faudrait « seulement » effacer plusieurs millénaires de culture qui présentent la putain comme une femme indigne, dominée par les hommes, honteuse et reléguée à la marge de l’humanité. Est-il possible de faire un métier d’une activité culturellement aussi entachée et dont l’essentiel des pratiques consiste à offrir son corps aux petits et grands tabous et perversions que la société n’est pas encore prête à véritablement accepter ? Alors tant que la honte, le mépris, la violence, la maltraitance, l’esclavagisme et le trafic seront la norme, il vaudra sans doute mieux trouver des solutions qui aident les victimes, poursuivent les trafiquants et poussent la société à mettre un terme à des pratiques dégradantes, majoritairement pour les femmes.

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